La grande fraude à la Sécu
par Pauline de Saint Remy
La somme paraît mirobolante. Et pourtant, le montant total des fraudes détectées par les différents organismes de Sécurité sociale en 2009 - 384 millions d'euros -, rapporté par le quotidien Les Échos mardi, est sans doute encore bien loin de la vérité.
Cette somme, qui recouvre essentiellement les fraudes aux allocations familiales, à l'assurance maladie et à l'Urssaf, n'est en effet que le résultat des premières auditions menées à l'Assemblée nationale par la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS), qui, en ce moment même, chaque semaine, auditionne l'ensemble des organismes sociaux pour déterminer le véritable montant des fraudes pour mieux lutter contre. Le montant avancé par Les Échos est donc à prendre avec des pincettes puisque les membres de la MECSS n'ont pas encore "contre-expertisé" les chiffres avancés par les organismes. Par ailleurs, comme le nom l'indique, il ne s'agit que de la fraude "détectée", qu'il faut rapporter à la fraude "réelle", dont les chiffres ne sont évidemment que des estimations.
Jusqu'à 3 milliards d'euros selon la Cour des comptes
À titre d'exemple, la "fraude probable" à l'assurance maladie, est, selon un rapport de la Cour des comptes, de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros, alors que le directeur de l'assurance maladie, Frédéric Van Roekeghem, évalue de son côté la fraude potentielle à 1 % des dépenses, soit un peu plus d'un milliard d'euros. À ce stade, le député marseillais Dominique Tian, rapporteur de la mission parlementaire, estime que les chiffres de la Cour des comptes sont sans doute plus proches de la réalité, "et encore", commente-t-il. "Je constate que plus on cherche, plus on trouve."
Si les trois organismes principaux de protection sociale se félicitent des progrès accomplis en matière de détection des fraudes - "seulement" 228 millions d'euros de fraudes avaient été détectés en 2006 -, il aura fallu une initiative parlementaire pour que l'on commence en France à prendre conscience de l'importance des enjeux. "Cela pourrait revenir à un tiers ou la moitié du déficit annuel de la Sécurité sociale !" s'exclame Dominique Tian.
Travail au noir
Premier visé dans la lutte contre la fraude : le travail au noir, "principale source de fraude aux revenus déclarés", selon Dominique Libault, directeur de la Sécurité sociale. "Le travail dissimulé permet, en effet, de bénéficier indûment de prestations sous condition de ressources ; il entraîne aussi des pertes de droits, notamment en matière d'assurance vieillesse." "Il nous reste des progrès à faire" sur ce plan, a lui-même reconnu Dominique Libault.
Viennent ensuite, dans le désordre, les diverses fraudes pratiquées dans les hôpitaux ou par des médecins, telles que le gonflement d'honoraires ou le trafic de Subutex - qui représente des sommes très importantes -, mais aussi l'aide au logement et enfin, le tout jeune RSA. Ce RMI nouvelle génération, qui, selon les autorités, est versé à près de 1,8 million de foyers depuis le mois de juin dernier, représenterait 70 % des sommes et 50 % des cas de fraudes détectés par l'assurance maladie, avec des montants de 7.300 euros annuels en moyenne dans chaque cas de fraude (11.733 cas ont été repérés pour un montant total estimé à 85,6 millions d'euros).
Pour Dominique Tian, ce retard en matière de fraude est d'abord "une question de culture". "Nous n'avons pas la culture des contrôles", explique-t-il. "Nous sommes, en France, de mauvais gestionnaires", juge-t-il. Le rapport définitif de la MECSS ne devrait pas être remis avant la fin du premier trimestre 2011, avec plus de chiffres à la clé, notamment sur la "fraude réelle". D'ici là, les chiffres de la fraude sociale en France auront été confrontés à ceux d'autres pays européens, pour en tirer des leçons plus approfondies. Le principal axe de travail devrait porter sur le croisement des fichiers, selon Dominique Tian. "Cela fait seulement depuis 2006 que nous avons un fichier national sur le RMI !" s'étonne-t-il encore. Et au passage, on y trouvera peut-être quelques pépites, des cas d'école de la fraude sociale en France, comme ce père de famille qui aurait déclaré 135 enfants...
Commentaires